Quand on évoque Léonard Foujita, ou Tsuguharu Fujita comme on le connaît au Japon, l'image qui nous vient souvent à l'esprit est celle d'un peintre cosmopolite qui a conquis le monde artistique parisien des années 1920. En France, il reste dans les mémoires comme un membre éminent de l'École de Paris, ce cercle d'artistes étrangers qui ont apporté un regard neuf sur l'art moderne. Sa réputation y a été solidement établie grâce à sa technique raffinée et à ses « nus d'un blanc laiteux » immédiatement reconnaissables. On l'a également qualifié de « plus important artiste japonais ayant travaillé en Occident au XXe siècle ». Pourtant, malgré son succès international, certaines de ses plus belles œuvres, notamment la fresque monumentale Les Événements d'Akita, demeurent des trésors cachés que l'on ne trouve qu'au Japon, à Akita.
Fujita avait le monde à ses pieds. Paris, Tokyo, n'importe quelle grande ville aurait pu servir de toile à sa vision grandiose. Alors, pourquoi Akita ? La question est légitime, et une partie de la réponse se trouve chez Masakichi Hirano, homme d'affaires et collectionneur d'art local, qui lui commanda l'une de ses œuvres les plus abouties. Mais il ne s'agissait pas uniquement de mécénat. Dans les années 1930, Fujita avait quitté les feux de la rampe parisiens, en quête de profondeur. Akita, avec ses traditions et le rythme des saisons, lui offrait cet ancrage. C'est là qu'il peignit non seulement la vie d'une région, mais aussi un chapitre de son propre cheminement, après la célébrité.
Qui était Fujita ?
Fujita naît à Tokyo en 1886 et se forma auprès de Kuroda Seiki à l'École des Beaux-Arts de Tokyo (aujourd'hui Université des Arts de Tokyo). Mais dès 1913, son regard se porta sur Paris, cœur battant de l'art moderne. À Montparnasse, il s'intégra rapidement à l'effervescence de l'École de Paris, côtoyant Modigliani, Chagall, Kisling et d'autres figures légendaires.
Les années 1920 furent son âge d'or. Ses célèbres « nus d'un blanc laiteux » firent de lui une vedette du Salon. Il peignait des chats, des natures mortes et des portraits à la fois modernes et intemporels. Pourtant, même au sommet de sa gloire, il demeurait un marginal, artiste japonais en Europe, se forgeant un espace singulier entre deux cultures.
Plus tard, la Seconde Guerre mondiale ramena Fujita au Japon, où il réalisa des peintures commémoratives avant de finalement retourner en France en 1950. Là, il se réinventa une fois de plus : il obtint la nationalité française en 1955 et se convertit au catholicisme en 1959. Dans ses dernières années, il se consacra à l'art religieux. Son œuvre ultime fut la sereine chapelle Foujita à Reims, un joyau de dévotion spirituelle.
Évolution du style et des thèmes : Guerre, prière et figures
La carrière de Fujita se divise en plusieurs phases distinctes, chacune reflétant son parcours personnel et les grands courants artistiques de son époque :
Période des débuts (années 1910-1920): Ses années parisiennes sont marquées par le succès de ses nus, portraits et natures mortes. Ses œuvres se déroulant dans le jardin du Luxembourg se caractérisent par des contours fins, des palettes pâles et des compositions épurées. Avant d'adopter définitivement le nom francisé « Foujita », il signait souvent ses premières toiles simplement « Fujita ».
Période intermédiaire (années 1930-1940): Son retour au Japon coïncide avec des années plus sombres. Ses peintures de cette période comprennent des documents de guerre de grand format et des portraits de groupe, marqués par un réalisme accru, des ombres plus marquées et une atmosphère plus pesante.
Période de la maturité (années 1950-1960): À la fin de sa vie, sa conversion au catholicisme l'oriente vers des thèmes sacrés. Il réalisa des peintures murales et des fresques qui fusionnent l'iconographie religieuse occidentale traditionnelle avec son trait japonais d'une précision unique, donnant ainsi naissance à la chapelle Foujita.
Malgré ces évolutions, plusieurs caractéristiques demeurèrent constantes : son souci du détail, son goût pour la composition narrative et, surtout, son esthétique hybride, à la fois japonaise et occidentale, moderne et classique.
Que représentent Les Événements d'Akita ?
Les Événements d'Akita virent le jour grâce à Masakichi Hirano, un homme d'affaires local et amateur d'art qui demanda à Fujita de créer une œuvre véritablement exceptionnelle pour sa ville natale en 1937. Cette fresque monumentale s'étend sur plus de 20 mètres de long et environ 3,6 mètres de haut. Elle se déploie comme un vaste panorama de la vie populaire et des fêtes d'Akita, retraçant le cycle des saisons en un récit continu. Le printemps s'anime de festivités joyeuses, l'été resplendit des lanternes du célèbre festival Kanto, et l'automne emplit la toile de marchés. Fujita unit les saisons japonaises avec sa touche personnelle : une précision qui confère à chaque figure une grande netteté, une palette de couleurs douces qui apaise l'atmosphère, et un rythme ondulant qui guide le regard d'une saison à l'autre avec fluidité.
Pourquoi Les Événements d'Akita est un chef-d'œuvre à ne pas manquer
Les Événements d'Akita est la plus grande toile jamais réalisée par Fujita. Il y fusionne la peinture à l'huile occidentale et les traditions narratives japonaises, créant une fresque à la fois universelle et profondément ancrée dans le territoire. Au-delà de sa beauté artistique, la fresque revêt une forte dimension historique. Elle capture les rythmes de la vie quotidienne dans l'Akita d'avant-guerre sont dépeints avec une précision saisissante, presque documentaire, et marquent un tournant dans la carrière de Fujita.
Mais ce qui la rend vraiment exceptionnelle, c'est son ancrage culturel. Fujita a peint les fêtes et coutumes d'Akita avec un profond respect, offrant le regard d'un étranger qui percevait la beauté dans des détails que les habitants auraient pu négliger. Aujourd'hui encore, vous pouvez admirer la fresque là où elle a vu le jour : au Musée d'Art d'Akita, dans un espace calme et propice à la contemplation, conçu pour laisser la peinture s'exprimer pleinement et émerveiller.
Découvrez la fresque au Musée d'art d'Akita
Découvrir Les Événements d'Akita, c'est aussi découvrir l'œuvre dans un lieu conçu pour lui rendre hommage. Le Musée d'art d'Akita, œuvre du célèbre architecte Tadao Ando, est une véritable œuvre d'art. À l'extérieur, un magnifique jardin d'eau reflète le ciel et offre une vue paisible sur le parc Senshu. À l'intérieur, un majestueux escalier en colimaçon, sans pilier central, vous accueille sous une remarquable verrière triangulaire à l'entrée du bâtiment.
Si la fresque est l'attraction principale, le musée recèle bien d'autres trésors. La collection Masayoshi Hirano comprend des autoportraits, des croquis et des œuvres de petit format de Fujita, offrant un aperçu plus intime de l'artiste. Des expositions temporaires présentent également de l'art moderne et contemporain japonais et international, faisant du musée un véritable carrefour culturel et historique.
Un voyage à la croisée de l'art, de la mémoire et du temps
Les Événements d'Akita raconte comment un peintre de renom a puisé son inspiration loin des capitales artistiques mondiales. Créée au sommet de la carrière de Fujita, cette œuvre reste profondément ancrée à Akita, lieu qui lui a donné tout son sens. Elle reflète également un échange entre la France et le Japon, un moment où un artiste formé à Paris a posé son regard sur les fêtes, les saisons et l'âme du Japon rural. Elle illustre comment l'art peut franchir les frontières tout en restant profondément ancré dans la culture locale.
Pour les voyageurs en quête d'une expérience plus authentique, cette fresque est une excellente raison de venir à Akita. Face à elle, vous pourrez vous connecter aux traditions, aux habitants et aux paysages d'Akita à travers le regard de Fujita – une expérience artistique, mémorielle et spatiale unique au monde. Et rien de plus simple pour s'y rendre : le musée se trouve à 10 minutes à pied de la gare JR d'Akita ou à environ 40 minutes en bus de l'aéroport d'Akita.



